dimanche 25 avril 2010

Kayayos, courageuses filles du marché

Elles sont parfois si jeunes que j’ai de la difficulté à croire qu’elles arrivent à gérer leur activité économique si épuisante. J’en ai rencontré aujourd’hui plusieurs qui n’ont pas 10 ans et ça m’a fait mal. Elles travaillent toute la journée et se font souvent abuser économiquement et très sûrement autrement. Les Kayayos sont de jeunes filles qui, venues du Nord du pays, transportent dans de larges bassines en métal les achats des consommateurs dans les grands marchés d’Accra. J’ai décidé d’écrire cet article car tous les jours, en revenant du travail, alors que la nuit est tombée, en empruntant un raccourci utile seulement pour les motocyclistes, je remarque des groupes de jeunes filles qui marchent et qui marchent et qui s’engouffrent dans un immeuble de trois étages inachevé, planté dans la pénombre, et probablement temporairement abandonné. J’ai appris récemment ce qu’elles y faisaient. Elles y dorment seulement avant de repartir aux premières lueurs, le lendemain, pour poursuivre leur inlassable tâche. Tous les jours, pour parfois plus de 14 heures, elles sillonnent à la recherche de clients les allées bondées et coincées du marché de Medina, le quartier voisin de celui où j’habite et où vit une majorité de musulmans, un marché gigantesque, très coloré, vibrant et chaotique, typique des grands marchés d’Afrique de l'Ouest. J’aime le marché de Medina car on y trouve toujours, sans requérir à quelconque effort social, quelqu’un avec qui échanger quelques propos sincères et sourire franchement. Mais, quand je vois ces jeunes filles qui ont parcouru plus de 500 kilomètres depuis le nord du pays pour venir tenter leur chance dans ce travail éreintant, où elles transportent parfois sur leur tête des charges équivalant à toute la nourriture d’une famille de 10 personnes pour une semaine, je suis triste. Le motif de leur migration? Soit elles ont été envoyées par leur famille pour rapporter de l’argent tout simplement, ou soit elles sont parties d’elles-mêmes afin de financer leur trousseau de mariage car dans certaines cultures du nord ghanéen, la femme doit se pourvoir elle-même de ce « kit de base » pour connaître son rêve ultime : le mariage. Une fille en Afrique de l'Ouest, du moins dans une grande majorité des cas, n’aspire surtout qu’au mariage car elle y gagne sa liberté et sa dignité. Elle peut alors procréer sans être honnie par ses proches, elle n’est plus un poids pour sa famille et elle gagne son propre logis où elle devient la principale responsable. En fait, il est très rare de voir sur le vieux continent une fille « partir en appart », elle doit généralement attendre le mariage afin de se libérer de la tutelle familiale. En arrivant au marché aujourd’hui, j’ai vu une fille d’environ 20 ans qui « kayayait », et je me suis dit que ce n’était pas trop mauvais, que c’était un boulot comme tant d’autres dans la société ghanéenne pour bien des gens sans éducation, parfois victimes d’un ou plusieurs types de marginalisation, et qui luttent avec ardeur pour assurer leur subsistance. Ce n’est sûrement pas un emploi de rêve, car les conditions de travail de ces filles les rendent vulnérables à toutes sortes d’accidents et de hasards du marché. J’en ai vu une aujourd’hui qui est tombée avec le contenu de son réceptacle visiblement surchargé, cognée par un porteur de manioc qui arrivait avec un sac gigantesque sur le dos, en sens contraire, sans regarder où il allait, mais signalant sa présence d'un son émis avec force. La porteuse ne pouvait reculer car nous étions derrière ainsi qu'une foule de gens qui voulaient passer par un étroit passage car la rue était bloquée par un camion. Elle a donc subi le choc et s’est visiblement foulé la cheville. Dans son chargement, il y avait une boîte de pâte de tomate qui est tombée sur la main de Rosalie qui n'était pas trop loin en arrière. Heureusement, le choc fut léger, elle s’en est sortie avec une légère ecchymose à la main droite! Toutefois, là où je suis dépassé, c’est quand je vois des jeunes filles de 7 ou 8 ans procéder au même travail, transporter des charges peut-être deux fois plus lourdes qu’elles, pour des pourboires dérisoires. En fait, elles n’ont pas de prix fixe, elles demandent une contribution à leurs clients. Après les avoir questionnées, j’ai compris qu’elles gagnaient entre 1 et 2 cedis par jour (0,70$ à 1,40$ ), mais que lors d’une journée chanceuse, elle pouvaient accumuler quelques 4 cedis (2,80$). Il est possible de se nourrir avec un cedi par jour, mais il s’agit réellement d’un régime sous-alimenté : deux portions de féculents (igname frit, plantain grillé ou banku, boules de pâte faites avec de la farine de maïs), une le matin et l’autre le soir, avec une petite cuillérée de sauce piquante pour calmer l’appétit. Évidemment, ces filles ne vont pas l’école, et donc elles ne parlent pas anglais, ni le Twi, la langue la plus commune au Ghana, et je n’ai pu interroger qu’une d’entre elles, Kajia, plus âgée, qui semblait particulièrement désespérée. Son corps semblait avoir subi maintes violences, plusieurs dents manquaient à sa bouche, elle devait aussi avoir été victime de maladies. De ses 24 ans, elle me dit que ça ne fait que 3 mois qu’elle est à Accra, et qu’elle et ses copines à ses cotés viennent de Bimbilla, un village que j’ai visité au Nord. Elle est venue pour gagner l’argent pour son trousseau de mariage (surtout le nécessaire pour préparer la nourriture et pour l’hygiène de sa future famille). Elle affirme avoir été à l’école « small small », en souriant d’un air gêné. Elle me demande ensuite si je ne veux pas l’épouser et l’amener « là-bas » dit-elle en pointant du doigt entre le ciel et la terre, faisant référence à ce lieu indéfini mais synonyme de richesse et d’espoir, que représente le monde occidental. Quand je lui ai dit que je suis déjà marié et que ne suis pas polygame, elle rit de bon coeur et ne parait pas trop déçue car elle a bien lancé sa demande avec un peu d’humour, par ailleurs ses copines rient de concert. Cependant, en conversant avec ma vendeuse de fruits préférée, j’ai pu comprendre que, dans un village au Nord, bien des filles partaient car celles qui ne le faisaient pas étaient vues comme ingrates car elles ne contribuaient pas au revenu familial. La pression sociale pour leur départ dans les familles défavorisées est donc réelle. Elle m’explique aussi que beaucoup de ces jeunes filles sont victimes de viols et d’autres abus sexuels, et qu’elles tombent parfois enceintes à un très jeune âge, responsables d’enfants pour lesquels elles n'ont pas les moyens de subvenir. Mais, en retournant dans leur village avec un enfant sans père, leur situation sociale ne peut que se détériorer, elles seront victime d’opprobre, elles seront voire même ostracisées. J'ai pu remarquer que de multiples réseaux se sont développés entre les kayayos, basés sur l'origine, l'âge, ou le fait qu'elles aient ou non un enfant sur le dos, probablement pour répondre à la réelle vulnérabilité auxquelles elles se placent. Les grands marchés d'Accra sont des lieux où l'on trouve beaucoup d'agressivité sociale et où beaucoup de choses peuvent arriver. Quand le marché est bondé, un petit geste passe inaperçu, et celles qui ne se sentent pas en confiance (par exemple les jeunes filles de 7 ou 8 ans) ne crieront peut-être pas "au voleur", "au viol" lorsqu'elles le devraient... Dans les grands marchés, les bousculades sont affaire très courante, normales. Or une jeune fille qui n'a pas vécu une décennie et qui tient une charge très pesante sur sa tête peut se faire renverser trop facilement. Et si une des choses qu'elle transporte se gâte dans l'accident, il n'est pas du tout évident que le client veuille toujours lui donner son pourboire. Pour comprendre le phénomène des kayayos qui pullulent dans le marché de Médina d’Accra, il faut aussi comprendre plusieurs dynamiques structurelles socio-économiques à différentes échelles. Dans les familles pauvres des sociétés du Nord ghanéen où les femmes sont fortement marginalisées, les mères sont laissées à elles-mêmes pour répondre aux besoins de base de leurs enfants, et ce malgré que les hommes aient un meilleur accès aux moyens de production, le cas le plus général étant l’accès à la terre. Au Ghana, la femme n’a pas le droit de posséder une terre. Pour cette raison, il n’est pas surprenant de les voir envoyer leurs filles travailler en ville pour alléger leurs souffrances. La division économique qui coupe drastiquement le pays est à la base de cette vague de migrantes infantiles. Le Nord du Ghana (Northern, Upper East et Upper West regions) est à l’image des pays sahéliens, de vastes étendues où l’on cultive des céréales et où des millions de gens vivent dans des huttes en terre sans électricité ni eau courante et où les riches ont une moto. Dans le sud du pays, la richesse est vraiment plus grande, des milliers de voitures sont prises dans des routes multi-congestionées, et on doit pouvoir compter au mois 10 000 villas de grande taille à Accra. Comme beaucoup de Ghanéens qui désirent travailler aux États-Unis, ces jeunes filles traversent le pays en quête de leur avenir vers la riveraine capitale. Le travail des enfants est un fait culturel en Afrique, et je ne suis pas un détracteur absolu de cette pratique. Je crois que dans certaine situations où l’enfant est roi comme on le voit parfois dans la société occidentale, nous nous penchons vers l’excès. Je crois que les enfants, même âgés de moins de dix ans, peuvent participer aux tâches familiales, cela contribuant notamment à leur responsabilisation et à leur apprentissage vers le monde adulte (qui est la fonction primaire de l’école de toute façon). Mais de là à rendre l’enfant attelé quotidiennement et constamment à un travail physique éreintant et vulnérabilisant, détaché de son milieu social et exposé à toutes sortes de dangers, il y a tout un monde, et je crois qu’il faut à tout prix condamner cette pratique. De plus, je ne suis pas étonné que ce soient les jeunes filles qui soient choisies pour ces travaux malgré leur plus grande vulnérabilité. La société patriarcale ghanéenne se garde bien d’envoyer ces fils dans de si dégradantes tâches. Une solution selon moi serait de créer des projets de formation dans les zones de la région Nord qui fournissent le plus de kayayos afin de prévenir leur départ, pour qu’elles puissent commencer à gagner leur vie si elles n’ont pas pu poursuivre leur cheminement scolaire, mais surtout que les plus jeunes puissent continuer à aller à l’école pour leur donner un minimum de chances de s’en sortir. Mais pour aller au-delà et prévenir de façon globale le phénomène, il s’agit de lancer de véritables programmes de développement pour le Nord du pays afin de combler ce déséquilibre interne qui le divise.

jeudi 22 avril 2010

La Passover chez les juifs ghanéens

Il était passé 18h, nous étions en train d’appliquer les dernières retouches sur le rapport d’annuel de Pamoja, assis dans un joli maquis du quartier Labadi, tout proche de l’imprimerie, mon collègue avec un « fanta » orange et moi sirotant une délicieuse Castle Milk Stout, excellente bière noire ghanéenne. Richard me dit de me grouiller car ce soir aura lieu le moment fort de la fête du « passover » et il me dit qu’il doit participer à la cérémonie dans sa communauté à tout prix. Nous terminons et je lui offre de le reconduire avec ma moto. Il accepte avec joie et m’invite sans attendre à venir célébrer avec lui. C’est la première fois que l’on m’invite pour la passover dans une synagogue, le fait que ça soit au Ghana est encore plus intriguant. Nous arrivons et la nuit est complètement tombée. La musique de l’orchestre de huit musiciens, dont trois cuivres, bat son plein. Entraînante et forte, nous l’entendons du dehors alors que Richard m’entraine dans un petit cubicule comportant deux bancs intégrés permettant de s’asseoir pour mieux procéder à ses ablutions. Aussitôt rincés, mes pieds me portent vers leur « apostle », apôtre…, tout vêtu de noir, homme grisonnant de très petite taille, qui me salue rapidement. Il semble bien agité par cette soirée spéciale. Son costume contraste avec celui de l’assemblée des fidèles qui sont tous vêtu de costumes d’un blanc étincelant mis en valeur par les nombreux néons de la salle de la synagogue. Sur l’autel trône un candélabre que Richard me pointe fièrement du doigt. Plus d’une centaine de fidèles, hommes et femmes de tout âge, chantent et se déhanchent légèrement au son de la musique, le regard très sérieux porté vers l’avant, témoignant du respect qu’ils portent à leur divinité. L’atmosphère est déjà mystique car certains visages affichent un certain état second. Richard m’assoit au fond de la salle dans un confortable divan bleu, fonce sur le podium, s’accapare du micro principal, et se met à chanter. Sa voix très rythmée, perçante et un peu fausse rajoute à la scène un peu plus de ferveur. Richard est le type très sympa qui arrive toujours en retard au travail et qui, cette fois-ci, arrive en retard pour la passover. Richard n’a même pas pris le temps d’enfiler une tunique blanche comme tout un chacun. Il est le seul avec moi dans la salle à n’être pas habillé pour l’occasion…. Et ça me fait bien rigoler. Peu importe, quand il lâche ses « alléluiah », la foule s’empresse de répondre avec son sempiternel « amen ». Tout à coup, après une pause lyrique, les croyants se penchent et font une prière exactement comme le font les musulmans (je crois que c’est une ancienne prière juive), alors que les instruments continuent leur lourde mélodie très ghanéenne, que j’apprécie beaucoup d’ailleurs. Les musiciens sont talentueux, j’aime particulièrement comment la basse est intégrée dans la musique ghanéenne moderne, le highlife. On dirait qu’elle vient à contretemps, mais elle complémente plutôt à la fois et le rythme et la mélodie en en renversant l’émotion à la fin des couplets. Je suis troublé, est-ce que ces "alléluiah" et ces prières "à la musulmane" sont de réelles pratiques juives? Est-ce plutôt un autre syncrétisme surprenant comme on en trouve dans bien d’autres pays du Sud qui se sont convertis à une des religions monothéiste mais qui n’a pas abandonné certaines pratiques appartenant au domaine de sa foi précédente. Dans cette communauté, seul un de leurs adeptes est déjà allé en Israël et aucun Rabbin n’est d’ailleurs venu leur enseigner les préceptes du judaïsme. Tout le savoir s’est transmis par internet et cela depuis plusieurs années. Non, ce ne sont pas des juifs éthiopiens, descendants de la tribu de Juda, une des douze tribus d’Israël qui peuple toujours la terre sainte, et dont les Rastas revendiquent l’ascendance. Ce sont de bons Ghanéens, d’origine ghanéenne, qui pour des raisons qui me sont inconnues, ont adopté la religion d’Abraham. Est-ce que leur pratique est très diluée ou bien est ce qui ne m’y connais pas assez en foi hébraïque? Je ne suis vraiment pas sûr! La musique a stoppé et les prières genre « direction de la Mecque » recommencent. Tout a coup silence, la foule se tait. Quelques secondes après, comme si l’absence de bruit ne pouvait se produire dans une cérémonie si intense, un murmure envahissant emplit progressivement la pièce. Tout un chacun se lève et le murmure devient tonitruant, et chacun marmonne maintenant à haute voix et individuellement des paroles qui ne me semblent pas compréhensibles. Il parait que ce type de sons est à la mode au Ghana, on chante des mots improvisés de façon très rythmée qui ne veulent rien dire. Les tenants de ce type de vocalisation prônent l’idée que leur automatisme phonétique, faisant appel à une créativité et une spontanéité assez déstructurée, permet de mieux entrer en contact avec Dieu, et que ce dernier s’empare à ce moment de leur bouche (voir un message sur mon blogue du 11 février : transes protestantes). Je me demande si leur improvisation ne vise pas plutôt à mystifier ceux qui sont extérieurs à leur groupe. J’avoue avoir utilisé une technique plus ou moins semblable quand j’étais enfant… Pendant ce temps, deux officiants se patrouillent la salle, un armé d’un encensoir bien enfumant, et l’autre d’un seau et d’un gobelet, aspergeant généreusement les fervents juifs ghanéens et moi-même d’eau bénite, arborant à mon niveau un air un peu sadique, sans pitié. Puis paf, tout s’arrête et un prêtre lit un passage de la Torah qui semble être une prière, s’ensuivent plusieurs « amen ». Les participriants se mettent alors à genoux et commencent à se frapper la main gauche avec l’envers de la main droite, montrant comme quoi ils se font violence, suivant le rythme de la musique qui repart. Tout un chacun a dès lors la mine serrée, évoquant des plaintes. Est-ce le moment d’expier ses pêchés, ou sont-ils en train de se remémorer les malheurs subis durant l’exode d’Égypte en direction de la terre promise? Je ne l’ai pas sû car 19h30 approchait, j’étais à l’autre bout de la ville et le couvre-feu de 20h discriminant les motocyclistes approchait. Un peu avant que je sorte, la session d’autoflagellation a cessé et mon ami a repris le micro. La joie reprend dans l’assistance! Nous nous saluons d’un clin d’œil. Je parie que demain il va me demander de revenir faire un tour à sa synagogue….. Ce que j’ai bien aimé, c’est que je ne me suis pas senti observé négativement. L’intégration chez les juifs n’est pas affaire facile comme c’est le cas pour le christianisme et l’islam. Et pourtant, ici, tous se sont convertis. Une coopérante de passage, d’origine juive, Carole, avec son habitude douce et gentille, m’expliquait que pour se convertir au judaïsme il faut passer au travers d’un an d’études sérieuses. Moi qui croyait qu’il fallait absolument être né de mère juive, je pense que j’ai beaucoup à apprendre dans ce domaine. Mais il me semble néanmoins que la conversion de cette communauté ghanéenne ne s’est pas faite dans toutes les règles de l’art… et tant mieux, vive le judaïsme libre et ouvert!

mardi 13 avril 2010

Boti Falls

Je suis allé dimanche au Boti Falls, proche de Koforidua en compagnie de Christelle, ma nièce, comme je la présente à tout un chacun. Mais plusieurs Ghanéens éprouvent de la difficulté à croire notre lien de parenté vu le contraste manifeste en termes de pigmentation qui nous différencie. Je dois aller expliquer que Christelle est la nièce de mon épouse. Certains l'appellent de premier abord madame, pensant qu'elle est ma femme. Je vous avoue que ça me mets mal à l'aise puisqu'elle a 15 ans. Elle aussi n'apprécie pas. Si j'ai bien compris, un homme ne part pas avec sa fille pour visiter un lieu touristique... et encore moins avec sa nièce.... La différence d'âge en Afrique, surtout en milieu rural, n'est pas rare entre un homme et sa femme. Qui plus est, plusieurs "vieux blancs" sont venus gâter le terrain en se tapant de très jeunes filles, phénomène que j'ai pu observer à de nombreuses reprises en Afrique de l'Ouest. Ceux-ci ne se gênent pas de s'afficher en public, dans les restaurants, sur la rue, dans les hôtels etc. Peu importe, on s'en fout, nous y sommes allés car Rosalie, que j'avais premièrement invitée, ne voulait pas tenter l'aventure (4 heures aller-retour de moto en route montagneuse), et je sais que Christelle aime visiter le pays. Les Boti Falls sont deux chutes d'eau hautes de 30 mètres qui tombent gracieusement dans un étang entouré d'une immense falaise stratifiée donnant l'impression d'être dans l'ouverture d'une immense caverne. Le lieu est vraiment magnifique et vaut le déplacement. J'ai cru un instant que nommant les chutes Boti, on avait voulu faire un jeu de mot en anglais ghanéen (dont l'accent est très fort et qui laisse entendre couramment des hallucinations auditives): Boti falls : beautyful. Mais nom, le village près des chutes s'appelle effectivement Boti!

mercredi 7 avril 2010

Plaidoyer pour repenser la planète – un coopérant s’exprime

Même si on nous montre telle ou telle avancée dans le domaine du développement de notre chère planète - du « progrès », technologique, social, scientifique ou économique - la société humaine reste toujours largement déficiente, acéphale et sans projet réellement sensé et réfléchit. Nous n’avons toujours pas su nous engager vers ce qui constituerait le développement d’un mode de régulation de la société à l’échelle du globe, et les réticences actuelles envers un tel projet me font vivre de régulières vagues de pessimisme. Les manifestations actuelles de notre inachèvement sociétal - les guerres, les atrocités, les injustices et les aberrations morales - se répètent et se multiplient à un rythme qui me rappelle vaguement celui de la croissance de notre présence sur terre. Malgré l’imprécision de ce propos, il me fait néanmoins peur. Comment se fait-il que nous soyons allés si loin dans la maîtrise de notre environnement et que nous ne soyons pas arrivés à nous comprendre nous-mêmes, à prendre en main notre inéluctable nature sociale, souvent chancelante, d’une complexité immense, à l’image de la nature elle-même, mais tellement riche en idées et en espoirs? Notre capacité d’être conscients, qui nous différencie du reste du règne animal, nous offre le potentiel d’atteindre cela. Le défi semble d’une difficulté extrême vu l’état actuel de notre monde, mais la récompense me paraît si noble qu’il en vaut l’effort. Au-delà de ce qui reste à repenser et refaire des idéaux économiques égocentriques qui dominent encore mon pays, j’ai décidé de donner mon cœur et mon âme ailleurs, là où l’inégalité m’apparaît la plus frappante. Le séjour dans un pays du Sud ouvre de nouvelles portes et élève la conscience. Lorsque l’on prend le temps de s’imprégner de toute la richesse culturelle des sociétés au Sud, on s’étonne combien ces sociétés sont complexes, et je donne comme exemple la diversité des codes sociaux interpersonnels qui varient d’un peuple à l’autre, mais dont l’agencement est toujours subtil, pratique et profond. Cependant, une fois démystifiées les parures culturelles d’un peuple, on comprend que l’être n’est rien d’autre que lui-même d’un continent à l’autre, et qu’il partage les mêmes gammes d’émotions, et ressent surtout la même envie de vivre ensemble, au moins au niveau local. Pourquoi ce désir, cette nécessité, ne s’est pas élevée à un niveau universel alors qu’il a atteint cependant, dans bien des cas, et à différents degrés, le stade du pays-nation depuis plusieurs centaines d’années? Il reste un immense travail à abattre pour atteindre ce stade et c’est dans ce but que je souhaite œuvrer. Nous pouvons combattre les changements climatiques qui nous menacent de près et qui commencent à nous terroriser trop tard, mais aucun avenir pour l’humanité n’est pensable sans une entente mondiale préalable. Les récentes tentatives pour contrer le réchauffement de la planète montrent clairement cela. Nous réalisons tous que la mondialisation lie les devenirs de nos sociétés de façon de plus en plus étroite, et le repli sur soi qui découle parfois de ce constat n’est souvent qu’une marque de faiblesse, d’égoïsme ou de pessimisme. C’est lorsque nous aurons bien compris nos points en communs, nos spécificités et nos divergences que nous pourrons bâtir une union réelle et durable, réalisant pleinement le potentiel social qui est en nous. Les critiques du développement et de la coopération internationale ont fusé, et souvent avec raison. Par malheur, cela porta ombrages aux réussites et aux échanges localisés qui, dans le même domaine, ont permis de faire naître la prise de conscience, l’entente, l’espoir et la réalisation de projet déterminants. Au-delà de la multitude d’investissements enrobant bien des « coopérations unilatérales », je crois dans l’œuvre de milliers d’individus qui partent du Nord vers le Sud échanger leur connaissance et leur culture avec des communautés du Sud. Avec l’apport de coopérants, des milliers de projets au Sud ont pu prendre vie. Maintes communautés ont pu éviter des décès dus à des maladies gastro-intestinales en ayant accès à de l’eau potable provenant de forages. Des milliers de groupes de femmes rurales ont trouvé de nouveaux emplois, apportant un appui matériel certain à leurs ménages, et vivifiant leur confiance personnelle en tant qu’acteurs de leurs communautés. Des populations rurales entières ont pu améliorer leurs techniques agricoles afin d’obtenir des rendements céréaliers de plus en plus grands, participant à assurer la sécurité alimentaire de leurs communautés. Loin du tourisme ou du voyage, où la plupart veulent transposer leur chez-soi social ou matériel dans un cadre exotique charmeur, et souvent grossièrement folklorisé, le parcours du simple coopérant, qui croit dans sa mission d’échange, lui permet de prendre le temps de donner et de recevoir réellement. Dans cette dynamique, comme dans bien d’autres, c’est généralement en donnant le maximum que l’on reçoit le plus, la gratitude étant un fait social, non pas systématique, mais néanmoins universel. J’ai pu constater une simple chose lors de mes séjours en Afrique de l’Ouest. Quand un être humain d’une culture différente apprend que l’on pense à lui et qu’on agit réellement pour lui, que l’on tente sincèrement de le comprendre, il l’apprécie. En conséquence, comme par rebond, on sent que sa conscience de notre identité et de notre culture s’élève elle-aussi, balayant les préjugés, symptômes de la méconnaissance des peuples. Ceci est un simple mais réel exemple de la conscience sociale, telle que normalement pratiquée au niveau local, élevée au niveau planétaire. Enfin, malgré ce que je viens de dire, et ce que m’apprête à affirmer, je ne crois pas du tout que les coopérants volontaires internationaux qui interviennent sur le terrain avec intégrité à leur mission humanitaire constituent le levier décisif vers une société mondiale meilleure, unifiée. Toutefois, je crois qu’ils préparent le terrain à des échanges culturels, sociaux, économiques et politiques d’un degré beaucoup plus élevé entre les peuples. J’affirme que le dépassement de notre intérêt national actuel constitue le point de départ du changement. Il est grand temps que le l’Est, l’Ouest, le Nord et le Sud visent une plus grande entente, et cela est impossible sans réduire massivement les injustices, l’incompréhension et l’égoïsme. Il est de notre devoir, pour la survie de notre espèce et de notre environnement, d’œuvrer à l’inclusion de tous dans le développement d’un réel projet politique porteur de continuité à très long terme. Le stade de la nation limitée au niveau des pays, construits sur des frontières d’une ère coloniale ou impérialiste qui n’ont plus leur raison d’être, comme point de départ pour l’identité, la compétition, l'anarchie sur la scène politique internationale, et en bout de ligne l’autodestruction, doit être dépassé. Soyons ambitieux. Nous devons, dès maintenant - et nous avons les moyens techniques et technologiques pour le faire - élever nos consciences pour construire le « vivre ensemble » universel, la société mondiale, la nation planétaire!