Je reviens ce matin d’un voyage au Burkina Faso un peu troublant. Pas trop reposant, pas trop fatiguant, pas touristique du tout, ce voyage avait pour but initial de rencontrer tout mes amis, collègues et membres de ma belle-famille pour les saluer et prendre des nouvelles. J’avais envisagé une petite escapade en moto, mais des évènements ténébreux m’en ont empêché.
Le passage du Ghana au Burkina est un peu troublant. Le Ghana est beaucoup plus propre, plus organisé, plus sain, ses habitants y sont plus disciplinés et sérieux. Presque tout ce que j’ai appris comme nouvelle au Burkina m’a démoralisé… malgré que je ne regrette pas ce voyage car malgré tout j’aime beaucoup les burkinabés, leur gentillesse, leur hospitalité, leur capacité à pardonner, leur lenteur qui m’oblige à prendre un rythme plus humain, leur esprit chaotique et spontané qui réveille d’une certaine un côté artistique en moi qui sommeille depuis un certain temps. J'étais aussi trop content de revoir ma belle-famille qui m'a toujours aussi bien accueilli. D’autre disent que je suis attaché au Burkina « par les couilles » Le Burkina a tout à apprendre et vit un lot de malheur assez grave dû à une pauvreté matérielle et sociétale. On doit le prendre parfois comme un enfant abandonné. Je vais donc énumérer une série de faits qui m’ont assez troublé durant ce voyage de deux semaines :
Tout d’abord, je réitère tous mes vœux de sympathie pour la famille et les amis de mon amie Sylvie qui est décédée de paludisme et d’ulcères à l’estomac alors que je venais d’arriver dans sa famille à Fada. Elle est décédée à 26 ans à Ouagadougou où elle était en convalescence à l’hôpital national de la capitale. Sylvie était une animatrice née et sa mort m’a profondément touché. J’ai participé à l’enterrement, mais on ne m’a pas laissé piocher pour creuser la tombe car ma femme est enceinte et cela peut porter malheur au bébé. J’ai donc servi, pour me rendre utile, de chauffeur avec ma moto pour faire les va-et-vient entre le cimetière et la maison familiale. Une vingtaine de jeunes hommes, parents et amis, (les femmes ne sont pas admises lorsqu’on creuse la tombe) a participé à creuser la tombe en se relayant d’une manière qui démontrait une grande solidarité. Ensuite, j’ai tenté de mon mieux pour accompagner et consoler, et parfois même arracher un sourire aux lèvres, de ses frères et sœurs, que je connais très bien : Chantal, Désiré, Fidèle, Innocent, Élie, Florence, Laurent qui est en France, mais aussi sa mère, son père et les cousines Zeinabou, Bernadette, Rita, Tilarpoua et bien d’autres….Mes jours passés à Fada ont beaucoup tourné autour de cet évènement. Je sais que Sylvie aurait pu être guérie si on l’avait traitée au début de maladie et ça me fait trop de peine. Les Africains connaissent mieux la mort que nous car ils la côtoient plus souvent, en tout cas plus souvent que moi, et ils l’acceptent plus aussi plus rapidement je crois, mais je ne suis pas sûr. Même si le jour de sa mort, il y régnait une tristesse généralisée, le lendemain les gens se sont mis à sourire davantage, sachant que trop pleurer ne va pas ramener la personne et que la vie de ceux qui sont parmi eux continue. Des centaines de parents amis et voisins sont venus pendant plusieurs jours saluer la famille pour leur exprimer leurs condoléances. Ce qui me rend le plus triste c’est que je crois qu’avec un tout petit peu plus de prévention, ce décès aurait pu être évité…
Ensuite, la réélection pathétique de Blaise Compaore confirmée le 25 novembre. Au Burkina, la démocratie ne fonctionne pas comme elle le devrait. Sur plus d’une vingtaine de personnes que j’ai questionnées, une seule a voté. Je crois que tout ceux qui ont voté pour reconduire le mandat du président ne l’ont pas fait parce qu’ils y croient vraiment mais bien par intérêt personnel. Une majorité des électeurs l’ont choisi parce qu’ils ont reçu un T-shirt gratuit et un billet de mille francs. Beaucoup d’autres sont là afin d’entrer dans le système de la corruption et bénéficier d’avantages personnels. En effet, ceux qui ne font pas partie du « parti » ne peuvent « bouffer » comme les autres, et cela est très bien connu au Burkina. Le directeur de l’association avec qui je travaillais, autrefois fervent de l’opposition, a même changé de camp, car il aspire devenir maire de sa ville natale et que sans soutenir le parti il ne peut accéder à ce poste. La feuille sur laquelle apparaissent les candidats était hilarante. Blaise y apparait en première position, comme un ange, son image bien luisante, travaillée par un infographiste, alors que les photos des autres candidats y étaient peu visibles, trop sombres et pas assez contrastées, on y distinguait pas bien les visages, un peu comme si celui qui a « designé » la feuille n’avait travaillé que sur le premier candidat. Une amie à moi, vendeuse de poisson frais et de viande de gibier, devait distribuer les cartes d’identité burkinabé (CIB) de par sa position de conseillère municipale, pièce essentielle au citoyen pour prouver sa qualité d’électeur. Malheureusement, les cartes ont commencé à être distribuées seulement à 17h30 dans son secteur le jour précédent l’élection puisque Fada n’est pas un fief du parti au pouvoir. Ainsi, très peu de gens de son secteur ont pu voter. Plus de 1000 cartes d’identités étaient devant moi et le jeune qui devait les distribuer les regardaient d’un air embêté alors que des jeunes partisans du quartier venaient crier « Victoire à Blaise Compaore, le bâtisseur ». Je leur ai demandé « mais êtes vous sûr qu’il est un bon président », ils m’ont regardé, ont baissé leur tête, montrant qu’ils avaient un peu honte, puis un a repris le fameux argument que « Grâce à Blaise, il y a la paix ». C’est vrai qu’il y a la paix… mais à quel prix? Tout le système politique est corrompu jusqu’à la moelle, censure, illusions et mensonges font partie du quotidien. L’écart entre les riches et les pauvres et très grand, les maisons de Ouaga 2000 paraissent de véritables palaces ultramodernes alors que près de 90% de la population vite dans des cases ou maisonnettes en terre. Ce qui me rend triste, c’est que les électeurs burkinabés n’ont pas l’esprit patriotique, dans la politique burkinabè, on ne pense qu’à ses intérêts personnels. Les votes ont été littéralement achetés. Plusieurs m’ont affirmé que de toute façon, les autres candidats qui se sont présentés n’était pas intéressants, et qu’ils ont probablement été placés par Blaise lui-même pour n’offrir qu’une très faible concurrence. Le taux de participation au vote était par ailleurs très bas, moins de 2 millions d’électeurs auraient voté, et Blaise a été élu avec plus de 80% des votes… C’en est triste à mourir, pas de changement en vue pour le Burkina. La majorité des burkinabés savent que Blaise est mauvais, qu’il est à la tête du système de corruption qui ronge le pays, mais tout un chacun, voyant cet exemple, veut s’intégrer aussi au système. Le chef d’état du Burkina montre donc la mauvaise voie, et tout un chacun le suit… Je vois mal les portes de sorties de ce pays face à l’immense pauvreté et la terrible désorganisation qui y règne.
À Ouagadougou, tout est poussière. Lorsque j’y suis rentré, à l’heure du soleil couchant, je croyais avoir une vision de l’enfer, car la visibilité y est réduite et ont voit pleine de silhouettes très sombres se déplacer à pied, à moto et en vélo à contrejour sur un fond rougeoyant, le tout dans un chaleur étouffante. La poussière, bizarrement, semble transporter la maladie. Les maux de gorge graves (angines de gorge) et les rhumes y sont monnaie courante en dehors de la saison des pluies.
Chaque jour, au Burkina, je suis sûr que plusieurs personnes meurent d’accident de moto. Puisque le casque et le permis de conduire ne sont pas obligatoire, les accidents mortels sont monnaie courante. J’ai assisté à deux accidents en directs. Deux personnes sont mortes d’accident à Fada durant deux jours qui se suivaient dont un dont j’ai été témoin pas trop longtemps après qu’il se soit produit. J’ai vu aussi une dizaine d’autres accidents où les gens attendaient que la police vienne constater les faits. Ça me fait mal de voir les gens souffrir comme ça. On me dit que plus tôt la même année on a tenté de rendre le port du casque obligatoire et les femmes ont massivement manifesté contre car elles trouvent que les casques déforment leur coiffures. Ça me fait très mal…. La plupart des conducteurs conduisent carrément n’importe comment, regardant le trafic, la route, se fiant à leur instinct, ignorant complètement le code de la route.
J’aime la bière Burkinabée. La Brakina plus précisément. Pétillante, presque piquante, sans mousse, très légère, sans arrière-goût, avec une légère amertume peu agressive, elle procure, glacée, un rafraichissement sûr et certain face à la température fournesque qui règne au Burkina. Mais quand je vois tous les maquis à Ouaga ou Fada, je ne peux m’empêcher de me demander : combien d’argent y est dépensé pour cette boisson ennivrante. A Fada, on trouve plus d’une vingtaine de maquis et tous les soirs on y voit une foule d’hommes, et quelques femmes, qui y boivent. À plus d’un dollar la bière, je me demande pourquoi le burkinabés, si pauvres, continuent de dépenser autant en bière. C’est un réel gaspillage selon moi et ça abaisse mon moral le soir quand je passe devant ces maquis bondés…Combien d’hommes viennent boire leur bière, manger leur poulet ou poisson grillé, alors que dans leur maison, leur famille, dépassant souvent 10 personnes, ne mange que de la pâte de maïs ou de mil (to), repas peu nutritif.
J’ai passé beaucoup de temps dans ma belle-famille à Ouaga, et j’ai découvert un des nouveaux jeunes « adoptés » par ma belle-mère. Daouda, aveugle, cousin éloigné de Rosalie, environs 12 ou 13 ans, me rend triste à chaque fois que je le croise, sa vie semble miséreuse et je le plains. Il est parrainé par un européen pour sa prise en charge mensuelle complète. Mais ses soins visuels pour apaiser sa douleur atroce aux yeux ont pris tout l’argent des mois passés, et sa famille d’accueil à Ouagadougou, faute de fonds, ne peut plus s’occuper de le nourrir, loger et vêtir, etc. Il a donc été expulsé de là, et naturellement, recueilli par ma belle-mère. Mais maintenant, puisqu’il réside chez un des membres de sa famille, il n’a plus droit à l’appui financier offert par son parrain européen, donc ma belle-mère finit par tout payer pour lui, y compris sa scolarité dans une école pour aveugles. Quand je le vois en belle-famille, il marche la tête tout le temps baissée vers la terre et ne parle pas à personne. Quand je lui adresse la parole, il me répond sèchement et me fuis. La nuit, il dort seul, sur le plancher de tuiles cassées du restaurant familial, et quand je le vois en rentrant le soir, ça me fait mal. Ma belle-mère, une fois de plus, en fait beaucoup pour des gens qui se retrouvent avec rien, elle devrait ouvrir une fondation pour recueillir des dons, elle donne des conditions minimales à des gens qui vivent dans conditions moins que minimales et c’est vraiment remarquable.
Je suis allé dans le petit village de Bougnounou où ma belle-mère a de la famille. Au maquis, j’ai rencontré une femme, la secrétaire du maire, qui s’est mise à discuter avec moi alors que je sirotais une bière en après midi après avoir passé toute la matinée à récolter le maïs dans le champ de ma belle-mère. La femme était bien sympathique et nous discutions joyeusement de tout et de rien. Rosalie m’a dit après son départ qu’elle était sidatique et qu’elle avait contaminé plusieurs hommes car elle ne résistait jamais aux avances des hommes. Je me suis demandé par la suite si je venais de parler avec une meurtrière en puissance ou une inconsciente grave… Mais ça ne m’a pas laissé indifférent. En effet, les sidatiques ont le droit de vivre comme les autres, mais pas d’enlever la vie aux autres.
J’ai visité encore une fois ma bonne vieille APRG où j’ai travaillé plus de deux ans. J’y ai été bien accueilli. Malheureusement, les choses n’ont pas trop changé, l’association survit. Seule bonne nouvelle, les projets que j’ai écrits pour eux et qui ont été financés par deux banques espagnoles et la fondation Jean-Paul 2 ont produit de bons résultats, et le partenaire avec qui j’ai longtemps travaillé, Medicus Mundi Andalucia, souhaite financer de nouveaux projets de maraîchage pour 2011. Toutefois, à l’APRG il règne une réelle attitude de stagnation, il manque de vigueur de renouveau. L’absence de discipline et quelques éléments perturbateurs empêche l’association de progresser. Malgré l’appui que j’ai pu donner, je vois que l’association a besoin de beaucoup plus, d’un réel renouveau, de nouveaux employés. Le directeur semble ne pas effectuer de détournements de fonds, ce qui est bien. Mais il m’a présenté avec fierté la récolte de ce qu’il a semé personnellement sur le champ de l’association parce que ce dernier n’est pas exploité depuis plusieurs années par l’association. Le directeur fait par ailleurs sécher cette récolte sur le terrain de l’APRG, et tout cela pour son propre compte. J’ai manqué de courage et je n’ai pu lui dire que ce qu’il faisait ce n’était pas bien, que la propriété d’une association ne doit pas favoriser l’intérêt personnel de ses employés mais plutôt celui de ses bénéficiaires, et qu’en tant que directeur il montrait un très mauvais exemple de cette manière.
J’arrête ici, car j’aime bien ce pays malgré tout, je suis quelque qui croit en l’avenir et espère toujours pour le pays des hommes intègres, et mon désir n’est pas du tout de nuire à sa réputation . Je me permets par ailleurs de le critiquer un peu plus sévèrement après le recul pris à la suite de mon séjour au Ghana, et aussi parce que je le revisitais. Malgré donc beaucoup de tristesse, bizarrement, je ne regrette pas du tout mon voyage au Burkina, et j’y suis plus qu’attaché par les couilles, mais par le cœur aussi!