vendredi 15 janvier 2010

Tristes pêcheurs qui portent bien leur nom…

C’est à quelques reprises que je suis parti, seul ou avec Rosalie, sur la côte, laisser mon regard errer sur le plat horizon, espérant que mon esprit s’abandonne à l’immensité de la mer, comme je le faisais dans ma tendre enfance.

Hélas, mon élan poétique s’abat et je reviens trop rapidement sur terre. Et parfois ce retour est assez brutal…

« O Bruni what do you want? » me demande d’une voie éraillée, impérieuse et belliqueuse un pêcheur pas du tout sympathique qui, les yeux rouges, profite de ma solitude dans ce coin abandonné par le développement, par « le monde des blancs » comme le certains le disent, pour me rappeler que malgré ma grande taille, ici je suis tout petit. En fait les ghanéens sont petits, mais costauds, et ce dernier qualificatif s’applique tout spécialement aux pêcheurs qui poussent et tirent leurs bateaux sur la plage, remontent leurs lourds filets à la main et procèdent à d’autres tâches épuisantes.

Mes visites dans les quartiers de pêcheurs m’ont vraiment laissé une image négative et malheureuse, et ce malgré les bateaux colorés, le soleil qui darde sur la mer ses rayons étincelants, faisant miroiter une certaine apparence de paradis tropical lorsque les palmiers se mettent du coup. Les maisons sont pour la plupart délabrées, et les ruelles abandonnées depuis toujours par les services municipaux, ondulant un peu comme le fait l’Atlantique qui n’est jamais trop loin. Les voitures ne peuvent que difficilement y circuler et c’est tant mieux car chez les pêcheurs, les motos sont de retour au galop. J’ai vu dimanche un motocycliste complètement saoul coursant seul contre son destin, sur la route de la côte, finir par heurter un taxi de plein fouet juste devant moi. J’ai fui car une foule excitée avide de malheurs, et dont une partie provenait d’un troquet malfamé situé au bord, s’attroupait autour d’eux, et je n’ai pas voulu y être mêlé.

Je ne comprend évidemment pas les détails de leur vie, mais on dirait que les pêcheurs ont l’air de vieillir plus vite que les autres, ils ont l’air particulièrement déchus par la vie, comme si la mer les avait tellement renversés, tabassés et abattus qu’ils étaient destinés à une vie de malheur. Leur milieu de vie est jonché de débris de tôles rouillées, de briques cassées et de milliers de déchets. Quel contraste de voir les gigantesques pirogues de mer aux teintes joyeuses déposées au beau milieu de plages recouvertes de sachets de plastiques et autres rebuts.

Je cherche la cause de leur malheur car les paysans, qui n’ont pas l’air tellement plus riches, donne l’impression d’être plus heureux, plus empreints d’une joie de vivre. Est-ce que la côte africaine - contrairement à tant d’autres côtes du monde envahies d’hôtels, de bungalows et de condos, habitées de gens désirant y connaître l’allégresse - garde trop précieusement sa rancœur envers les occidentaux qui s’y étaient installés autrefois pour leur commerce immonde d’êtres humains? Est-ce la mer qui, parce qu’elle prend sa part régulières de vies humaines, un peu comme monnaie d’échange de tout le stock qu’on y puise, porte malheur aux familles de pêcheurs qui s’y acharnent? Est-ce la faute des asiatiques qui viennent racler les fonds marins avec leurs bateaux usines et ne laissent que des ménés aux piroguiers ghanéens? Il parait en effet que la pêche traditionnelle d’aujourd’hui ressemble plutôt à de la loterie malgré qu’on y gagne un peu plus souvent, mais qu’il n’y a jamais de gros lots. Parait-il que souvent, les piroguiers reviennent bredouilles, ayant pourtant dépensé leur capital en carburant, main d’œuvre et entretien de leur bateaux.

J’ai quand même pu acheter dimanche, à un vieux pêcheur au visage bien plissé et aux yeux injectés, qui se fumait un joint de taille gigantesque, 4 langoustes vivantes, une pieuvre fraîche et une grande sole. Soi dit en passant, la pieuvre, qui semblait d’un caoutchouc hors du commun, s’est amollie drastiquement après une cuisson d’une heure et fut un vrai régal pour mon palais accompagnée de spaghettis sauce béchamel.

2 commentaires:

Martine a dit…

Mon petit frère a passé un mois dans un village de pêcheurs ghanéens après son séjour au Burkina. Il partait à la pêche tous les matins (je devrais plutôt dire au milieu de la nuit) avec eux.

Ces pêcheurs risquent leur vie à chaque jour. Pirogue sans plancher complet, sans gilet de sauvetage pour tous, certains ne savent pas nager. Et tu sais qu'ils sautent à l'eau lorsque vient le temps d'étendre le filet pour coincer les poissons dans l'eau?

Effectivement, il parlait des enjeux reliés à cette pêche commerciale qui nuit à tous les petits pêcheurs traditionnels.

Somme toute, je crois qu'il s'agit de l'expérience la plus enrichissante et la plus difficile physiquement qu'il a vécu de sa vie.
Il disait avoir beaucoup aimé l'esprit qui habite ces pêcheurs.

J.Leblanc a dit…

Intéressant, il a dû vivre une expérience hors du commun en effet! Et peut-être que j'ai été malchanceux. En tout cas, à Accra, comme à Cotonou, les quartiers des pêcheurs sont réellement les plus pauvres et les plus malfamés. Je tenterai d'entrer en contact avec une autre communauté côtière pour mieux les connaître!