mercredi 17 mars 2010

Des frontières coloniales

Un commentaire à propos d'un sujet dont vous avez peut-être déjà entendu parler : les frontières en Afrique. Depuis la période des indépendances, maints petits et grands conflits en Afrique ont lieu dans les zones frontalières où se jouxtent les pays du continent de nos premiers ancêtres. La nature même de ces actions belliqueuses trouve parfois ses sources dans la façon dont ces frontières ont été tracées. Au temps de la colonisation, après les échecs de la conférence de Berlin en 1884-1885 où les puissances européennes tentaient de s'entendre sur les règles de partage de l'Afrique, les frontières de l'Afrique actuelle commencent à se dessiner. Évidemment, au nom de la civilisation occidentale, conformément à la pensée colonialiste, les intérêts des populations indigènes ne furent pas pris en compte dans ce tracé. Des centaines de grandes zones culturelles, d'empires et de royaumes africains furent coupés en deux ou plusieurs parties. La politique anglaise de diviser pour régner fut largement appliquée, plus ou moins consciemment, et pas seulement par les Britanniques. En fait, il s’agissait davantage d'une division économique des territoires en fonction du rapport de force des puissances de l'époque. Il en ressort que maintes frontières en Afrique ont divisé des peuples au point où ceux-ci se trouvent répartis en différentes zones géopolitiques. Les Gourmantchés de Fada N'Gourma, là où je travaillais lors de mon dernier mandat au Burkina Faso, sont majoritairement basés autour de ladite ville. Mais ils sont aussi présents depuis plusieurs siècles au Ghana, au Togo, au Bénin et au Niger. Je les ai vus moi-même au cours de ma récente tournée dans la Northern Region, et j'ai posé maintes questions à leurs vieux sages. Au Ghana, ils ont pris le nom de Bimobas, mais ils parlent pratiquement le même langage et partagent la même culture lorsque vient le temps de célébrer funérailles, engagements ou mariages. Dans la recherche terrain que j’ai réalisée tout récemment, qui consistait en une étude de besoins et de capacités sur les ONG et associations membres de Pamoja, j’ai suivi un itinéraire longeant le Nord de la frontière togolaise et plusieurs points de la frontière burkinabée. J’ai constaté que ces frontières divisaient systématiquement les peuples frontaliers. Parmi les peuples du Ghana, les Ewe sont aussi au Togo, les Dagaras, les Mossis, les Gurunsis, les Gourmantchés sont aussi (et surtout) au Burkina. Mais là où je crois que le bat blesse, c’est que d’autres groupes ethniques se sont trouvés au centre de la division politique appliquée par les puissances coloniales, et en ont dès lors bénéficié plus que les autres. Par exemple, le groupe ethnique Akan (dont font partie les Ashantis) au Ghana, majoritaire parce que moins découpé par les frontières, semble connaître des avantages certains en matière de développement et en termes de pouvoir politique. Le même phénomène peut être aperçu au Burkina Faso dans le cas des Mossis, et au Mali dans le cas des Bambaras. Ce casse-tête producteur d’inégalités peut servir de terreau fertile pour la mauvaise graine. Dans ces trois pays où j’ai eu la chance de prendre le temps de saisir quelques éléments majeurs de la situation culturelle-politique, les ethnies minoritaires entretiennent parfois un discours revendicateur et aigri à l’encontre de l’ethnie majoritaire, sans toutefois déborder en conflit armés importants, ces pays se caractérisant par une certaine stabilité politique. Des dirigeants, armés de discours tribalistes peuvent puiser dans un tel héritage laissé par les Européens des raisons dont la légitimité peut être défendue facilement lorsqu’elles sont exposées à des populations ethniquement défavorisées. De fortes émancipations des groupes ethniques minoritaires, des politiques nationales intégratrices décentralisées, des idéaux nationalistes peuvent toutefois diminuer les chances d’apparition de « guerres tribales ». Ce qui est sûr, bien des Africains ont appris à leurs dépends les malheurs de ces guerres entre groupes culturels qui parfois cachent des fondements économiques encore plus importants, et dont trop personnes innocentes ont connu les atrocités. Au Burkina, on m’a dit maintes fois que même s’il y avait telle ou telle injustice de dimension ethnique, cela ne devait pas justifier une rébellion armée, que l’on ne doit pas tomber dans le situation qui déchire certains pays voisins. Parfois, on me dit même « qu’il faut faire pardon ». Les Burkinabés sont très fiers de la stabilité politique de leur pays, même si l’état de leur démocratie et la manière dont leur président est arrivé au pouvoir il y a plus de vingt ans de cela sont très contestables. Les politiques de décentralisation, influencées par la Banque mondiale, ont permis de mieux répartir l’action du gouvernement dans l’ensemble du pays. Toutefois, je ne suis pas surpris de savoir qu’actuellement, les conflits au Ghana se situent dans le Nord où le niveau de développement est vraiment bas en comparaison de celui du Sud. Dans le Nord, l’électricité et les systèmes réticulaires d’eau potable se font rares, les maisons en banco sont encore légion, les routes sont presque toutes en terre, les familles sont très nombreuses, beaucoup d’enfants ont des ventres enflés, et j’en passe, alors que dans le Sud le portrait est différent. Plusieurs facteurs expliquent ces écarts de développement, le placement des capitales, la proximité de la mer, le climat, la richesse du sous-sol, les tendances culturelles, mais ce qui est sûr, c’est que cette division frontalière ethniquement injuste ne favorise pas la bonne entente en Afrique. Le développement d’un réel esprit patriote (dans la mesure où l’on considère la patrie dans les limites politiques des frontières actuelles), panafricain ou humaniste est essentiel afin d’éviter des affrontements ethniques. Or, l’Afrique en est encore à ses débuts en matière d’aventures nationalistes, et plusieurs Africains se sentent plus proche de leur ethnie que de leur pays, surtout lorsqu’on sort des villes. Dans bien des cas, l’identité se définit plus par affinité culturelle que par son affirmation nationale. La Nation représente pour plusieurs beaucoup plus l’espace politique où l’on vient se disputer les bénéfices du pouvoir, dont font partie les revenus de la coopération intergouvernementale ou multinationale, ou des taxes de l’exploitation des ressources naturelles, dans une ambiance de bonne entente quand c’est possible. D’autres éléments rassembleurs sont présents. Un d’entre eux est sans doute l’équipe de football qui permet aux adorateurs du sport de crier haut et fort leur appartenance à leur nation. Peu importe leur appartenance ethnique, les supporteurs d'une équipe de foot se rangeront derrière leur équipe nationale sans hésitation lorsque vient de le temps de la Coupe d'Afrique des Nations (remarquez tout de suite la référence au nationalisme), ou la Coupe du Monde. Les langues des ethnies majoritaires ont aussi un réel effet intégrateur, et ce malgré l’aspect la dimension dominatrice inhérente à ce phénomène. Par exemple, un Gourounsi (ethnie de ma belle-mère) de Bolgatanga, ville au Nord du Ghana, préférera apprendre le Twi (langue du groupe Akan du Ghana) et aller travailler à Kumasi et Accra, plutôt que d’aller à Ouagadougou qui est pourtant plus proche, où il aurait plus de chances de trouver des frères gourounsis, car ces derniers sont plus nombreux au Burkina Faso. Cela s’explique en partie par le fait surtout que le Twi s’est tranquillement imposé dans leur ville notamment par la présence de l’Administration où plusieurs fonctionnaires du groupe Akan montrent le Twi comme la langue des dirigeants en plus de parler anglais. Il faut dire qu’à Accra, la capitale, ou Kumasi, la seconde ville, la langue de communication principale est le Twi, et que l’exode rural à des fins purement économiques est encore très présent comme j’ai pu le constater en parlant à maints Ghanéens venant du Nord du pays jusqu’à Accra ou Kumasi. Notre Gurunsi aura donc plusieurs bonnes raisons d’apprendre le Twi. Il reste qu’à Accra et Kumasi, les migrants du Nord ont tendance à se rassembler dans des ghettos. Phénomène intéressant, le quartier d’Asawase à Kumasi, constitué de groupes ethniques du Nord du pays : Gurunsis, Bimobas, Talins, Walés, Dagbanis, Gonjas, à forte majorité musulmane, est le plus pauvre de la ville, et a vu le Haoussa, venant du Nigéria et du Niger, s’imposer comme langue d’échange en plus du Twi. Donc, notre Gurunsi, s’il migre vers Asawase, et s’il veut avoir tous les atouts de la communication à ses côtés, il doit connaître, en plus de sa ou ses langues natales, le twi, l’haoussa et l’anglais. Cette dimension polyglotte typique de l’Afrique n’est pas si surprenante vu le nombre impressionnant de langues toujours vivantes dans chaque pays. J’aborderai une autre fois le problème du placement des capitales africaines qui lui aussi est assez particulier car évidemment celles-ci ont été mises en places par des Européens et ont participé largement à définir les zones stratégiques économiques des pays Africains. Les divisions frontalières ne sont toujours pas claires dans le vieux continent. Par exemple, la frontière Burkina-Niger, au niveau de la route Ouagadougou-Niamey, se caractérise par une zone tampon, un no man’s land de 20 kilomètres de large, et dont les prétentions territoriales des pays ont empêché la définition exacte. Donc, après avoir traversé les postes frontaliers Burkinabés (police, douane et gendarmerie), il faut parcourir cette distance avant d’apercevoir les postes nigériens. Du côté de la frontière Burkina-Bénin, on voit encore la même chose car de petits conflits armés sont survenus à plusieurs reprises dans les dernières décennies. Et dans le cas de la frontière Burkina-Mali, une petite guerre a même été menée dans les années 80 à cause de prétentions frontalières. Ce genre de phénomène, à petite et parfois à grande échelle, est généralisé en Afrique. Par exemple, le cas de la République Démocratique du Congo (RDC), que je ne connais pas suffisamment bien, peut inspirer la rédaction de plusieurs livres tellement ses conflits frontaliers ont été nombreux et sanglants. Tout récemment, le Ghana a découvert un important gisement de pétrole au large d’une mince bande de terre qui lui appartient, mais qui, lorsqu’on l’observe sur une carte géographique, s’enfonce au sein de la côte ivoirienne. Le fait que cette zone côtière soit surtout peuplée de Fantis ne changera absolument rien au fait que la Côte d’Ivoire vient d’annoncer qu’elle revendique la propriété de l’or noir qui se trouve au large des côtes ghanéennes frontalières. Je ne serais pas surpris de savoir que les réserves souterraines se situent aussi dans les eaux territoriales de la Côte d’Ivoire. J’espère seulement que les parties trouveront une solution pacifique ou que la Côte d’Ivoire ne rende pas cette affaire conflictuelle comme ce fut le cas pour de l’île de Bakassi qui causa des altercations entre le Nigéria et du Cameroun depuis le temps des indépendances. Les réserves pétrolières récemment découvertes sont évaluées à 1,8 milliards de barils, c’est-à-dire suffisantes pour exciter l’appétit du gouvernement voisin.

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