jeudi 22 avril 2010

La Passover chez les juifs ghanéens

Il était passé 18h, nous étions en train d’appliquer les dernières retouches sur le rapport d’annuel de Pamoja, assis dans un joli maquis du quartier Labadi, tout proche de l’imprimerie, mon collègue avec un « fanta » orange et moi sirotant une délicieuse Castle Milk Stout, excellente bière noire ghanéenne. Richard me dit de me grouiller car ce soir aura lieu le moment fort de la fête du « passover » et il me dit qu’il doit participer à la cérémonie dans sa communauté à tout prix. Nous terminons et je lui offre de le reconduire avec ma moto. Il accepte avec joie et m’invite sans attendre à venir célébrer avec lui. C’est la première fois que l’on m’invite pour la passover dans une synagogue, le fait que ça soit au Ghana est encore plus intriguant. Nous arrivons et la nuit est complètement tombée. La musique de l’orchestre de huit musiciens, dont trois cuivres, bat son plein. Entraînante et forte, nous l’entendons du dehors alors que Richard m’entraine dans un petit cubicule comportant deux bancs intégrés permettant de s’asseoir pour mieux procéder à ses ablutions. Aussitôt rincés, mes pieds me portent vers leur « apostle », apôtre…, tout vêtu de noir, homme grisonnant de très petite taille, qui me salue rapidement. Il semble bien agité par cette soirée spéciale. Son costume contraste avec celui de l’assemblée des fidèles qui sont tous vêtu de costumes d’un blanc étincelant mis en valeur par les nombreux néons de la salle de la synagogue. Sur l’autel trône un candélabre que Richard me pointe fièrement du doigt. Plus d’une centaine de fidèles, hommes et femmes de tout âge, chantent et se déhanchent légèrement au son de la musique, le regard très sérieux porté vers l’avant, témoignant du respect qu’ils portent à leur divinité. L’atmosphère est déjà mystique car certains visages affichent un certain état second. Richard m’assoit au fond de la salle dans un confortable divan bleu, fonce sur le podium, s’accapare du micro principal, et se met à chanter. Sa voix très rythmée, perçante et un peu fausse rajoute à la scène un peu plus de ferveur. Richard est le type très sympa qui arrive toujours en retard au travail et qui, cette fois-ci, arrive en retard pour la passover. Richard n’a même pas pris le temps d’enfiler une tunique blanche comme tout un chacun. Il est le seul avec moi dans la salle à n’être pas habillé pour l’occasion…. Et ça me fait bien rigoler. Peu importe, quand il lâche ses « alléluiah », la foule s’empresse de répondre avec son sempiternel « amen ». Tout à coup, après une pause lyrique, les croyants se penchent et font une prière exactement comme le font les musulmans (je crois que c’est une ancienne prière juive), alors que les instruments continuent leur lourde mélodie très ghanéenne, que j’apprécie beaucoup d’ailleurs. Les musiciens sont talentueux, j’aime particulièrement comment la basse est intégrée dans la musique ghanéenne moderne, le highlife. On dirait qu’elle vient à contretemps, mais elle complémente plutôt à la fois et le rythme et la mélodie en en renversant l’émotion à la fin des couplets. Je suis troublé, est-ce que ces "alléluiah" et ces prières "à la musulmane" sont de réelles pratiques juives? Est-ce plutôt un autre syncrétisme surprenant comme on en trouve dans bien d’autres pays du Sud qui se sont convertis à une des religions monothéiste mais qui n’a pas abandonné certaines pratiques appartenant au domaine de sa foi précédente. Dans cette communauté, seul un de leurs adeptes est déjà allé en Israël et aucun Rabbin n’est d’ailleurs venu leur enseigner les préceptes du judaïsme. Tout le savoir s’est transmis par internet et cela depuis plusieurs années. Non, ce ne sont pas des juifs éthiopiens, descendants de la tribu de Juda, une des douze tribus d’Israël qui peuple toujours la terre sainte, et dont les Rastas revendiquent l’ascendance. Ce sont de bons Ghanéens, d’origine ghanéenne, qui pour des raisons qui me sont inconnues, ont adopté la religion d’Abraham. Est-ce que leur pratique est très diluée ou bien est ce qui ne m’y connais pas assez en foi hébraïque? Je ne suis vraiment pas sûr! La musique a stoppé et les prières genre « direction de la Mecque » recommencent. Tout a coup silence, la foule se tait. Quelques secondes après, comme si l’absence de bruit ne pouvait se produire dans une cérémonie si intense, un murmure envahissant emplit progressivement la pièce. Tout un chacun se lève et le murmure devient tonitruant, et chacun marmonne maintenant à haute voix et individuellement des paroles qui ne me semblent pas compréhensibles. Il parait que ce type de sons est à la mode au Ghana, on chante des mots improvisés de façon très rythmée qui ne veulent rien dire. Les tenants de ce type de vocalisation prônent l’idée que leur automatisme phonétique, faisant appel à une créativité et une spontanéité assez déstructurée, permet de mieux entrer en contact avec Dieu, et que ce dernier s’empare à ce moment de leur bouche (voir un message sur mon blogue du 11 février : transes protestantes). Je me demande si leur improvisation ne vise pas plutôt à mystifier ceux qui sont extérieurs à leur groupe. J’avoue avoir utilisé une technique plus ou moins semblable quand j’étais enfant… Pendant ce temps, deux officiants se patrouillent la salle, un armé d’un encensoir bien enfumant, et l’autre d’un seau et d’un gobelet, aspergeant généreusement les fervents juifs ghanéens et moi-même d’eau bénite, arborant à mon niveau un air un peu sadique, sans pitié. Puis paf, tout s’arrête et un prêtre lit un passage de la Torah qui semble être une prière, s’ensuivent plusieurs « amen ». Les participriants se mettent alors à genoux et commencent à se frapper la main gauche avec l’envers de la main droite, montrant comme quoi ils se font violence, suivant le rythme de la musique qui repart. Tout un chacun a dès lors la mine serrée, évoquant des plaintes. Est-ce le moment d’expier ses pêchés, ou sont-ils en train de se remémorer les malheurs subis durant l’exode d’Égypte en direction de la terre promise? Je ne l’ai pas sû car 19h30 approchait, j’étais à l’autre bout de la ville et le couvre-feu de 20h discriminant les motocyclistes approchait. Un peu avant que je sorte, la session d’autoflagellation a cessé et mon ami a repris le micro. La joie reprend dans l’assistance! Nous nous saluons d’un clin d’œil. Je parie que demain il va me demander de revenir faire un tour à sa synagogue….. Ce que j’ai bien aimé, c’est que je ne me suis pas senti observé négativement. L’intégration chez les juifs n’est pas affaire facile comme c’est le cas pour le christianisme et l’islam. Et pourtant, ici, tous se sont convertis. Une coopérante de passage, d’origine juive, Carole, avec son habitude douce et gentille, m’expliquait que pour se convertir au judaïsme il faut passer au travers d’un an d’études sérieuses. Moi qui croyait qu’il fallait absolument être né de mère juive, je pense que j’ai beaucoup à apprendre dans ce domaine. Mais il me semble néanmoins que la conversion de cette communauté ghanéenne ne s’est pas faite dans toutes les règles de l’art… et tant mieux, vive le judaïsme libre et ouvert!

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